Il est en ce temps – comme dans le nôtre – des infortunes cruelles que signalent sèchement une ligne, une demi-ligne de l’acte de décès. On ne connaît souvent pas même le nom des malheureux; leur âge est-il exact? Quels furent les derniers instants de leur vie misérable, dans la solitude et l’obscurité d’une grange, d’une écurie?
C’est évidemment l’hiver, funeste aux pauvres gens, que la mort les achève, éloignant sans peine le souffle qui maintenait encore une apparence de vie dans une carcasse minée par la faim.
En cette paroisse, 1694 est particulièrement chargée en décès de ce genre; c’est un garçon mendiant de 24 ans, “demeuré malade” chez une bonne âme, que l’on mène au cimetière le… 1er janvier; le 8, on ne donne même pas d’âge à celui qui décède chez le fermier du Coudreau; le 11, un gars de 22 ans, de la Marche, le 28, un pauvret de 14 ans, le 30, un de 18 ans, finissent leur courte existence dans l’écurie de la Halle; le 26 mars, c’est une “inconnue, pauvre petite mendiante” qui s’endort pour l’éternité chez Joubert et le 20 mai, c’est le tour d’une autre femme, réfugiée dans la grange de la Gaudinière.
En 1710, une fille de 10 ans, de Montreuil, livrée à la mendicité, meurt en juin.
En avril 1712 naît “une mendiante de père inconnu, de mère sans nom; dès son premier signe de vie, elle est déjà classée; on ne dit pas ce qu’elle devint mais on peut le deviner.
En 1721 est noté le décès d’une inconnue de Château du Loir “peut-être pas mendiant”; ce dubitatif n’est-il pas sinistre?
L’an 1794, le métayer de la Coste trouve dans sa grange le cadavre d’un mendiant de 45 ans.
1737 compte 3 décès de mendiantes; l’une, en juin, originaire de Montreuil, une seconde, le 20 septembre, pauvre vieille de 70 ans, de St-Georges, près Tours, surnommée soeur Anne, en raison de son prénom; le 5 juillet, on découvre morte une malheureuse qui se réfugiait dans le petit cabinet de la galerie de l’église; c’était son logis, vraisemblablement accepté comme tel par le curé Lhéritier.
Le 18 mai 1740, un vieillard mendiant de 70 ans, natif de Luynes, achève ses jours à Reugny.
La pauvreté tue, le lendemain de Noël 1748, une femme de 40 ans, on connaît le nom de ses parents, tous deux décédés.
Deux hommes, qui mendiaient leur vie dans la paroisse, décèdent en 1750, l’un en janvier, à 18 ans, chez un métayer, l’autre en mars, à 65 ans, chez un marchand fabricant au bourg.
L’année suivante, un étranger, qui s’est retiré chez une bonne femme de la paroisse, rend son dernier souffle: il a pourtant tenu 75 ans… à moins que cet âge lui ait été donné d’après son visage miné, ravagé; un acte de naissance authentique aurait peut-être révélé un homme plus jeune…
“Une pauvre femme”, un jour de février 1756, est trouvée malade par le fermier d’Orfeuil; il l’amène chez lui, fait venir le curé, le vicaire, le marguillier; inutile d’appeler le médecin; il n’y a rien à espérer; elle peut vaguement parler; elle est d’Orléans, a quitté son mari le mois passé; on lui attribue 40 à 45 ans; elle est enterrée le 20; des recherches ont dû être effectuées puisque le mari se présente le 3 mars et précise le nom de la défunte, le sien, à lui, et sa paroisse: Saint Clément de Tours.
De temps en temps, un décès s’ajoute à la liste: un mendiant étranger de “72 ans en apparence”, en novembre 1762, un vieux de Neuvy de 80 ans, en janvier 1779, un inconnu mort dans la grange de Beauregard en février 1791 “ayant donné des marques de catholicité”.
Combien de temps vécurent cette fille et ce fils de deux mendiants, en 1783